mardi 12 mai 2020 à 23h57
POESIE : Mahmoud Darwich, Ne t'excuse pas, 2004
IL EST PAISIBLE, MOI AUSSI.
Il est paisible, moi aussi.
Il sirote un thé citron
je bois un café,
c'est ce qui nous distingue.
Comme moi, il est vêtu d'une chemise rayée
trop grande.
Comme lui, je parcours les journaux du soir.
Il ne me surprend pas quand je l'observe de biais.
Je ne le surprend pas quand il m'observe de biais.
Il est paisible, moi aussi.
Il parle au serveur.
Je parle au serveur...
Un chat noir passe entre nous.
Je caresse la fourrure de sa nuit,
il caresse la fourrure de sa nuit...
Je ne lui dis pas : Le ciel est limpide aujourd'hui,
plus bleu.
Il ne me dit pas : Le ciel est limpide aujourd'hui.
Il est vu et il voit.
Je suis vu et je vois.
Je déplace la jambe gauche,
il déplace la droite.
Je fredonne une chanson,
il fredonne un air proche.
Je me dis :
Est-il le miroir dans lequel je me vois ?
Puis je cherche son regard,
mais il n'est pas là...
Je quitte précipitamment le café,
et je me dis : C'est peut-être un assassion
ou peut-être un passant qui m'a pris
pour un assassin.
Il a peur, moi aussi.
Mahmoud Darwich, Ne t'excuse pas, 2004
Ci-dessous : Caryatides du tribunal d'Amsterdam, Artus Quellinus (I), c. 1650 (Rijksmuseum)